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Exploration spatiale européenne : en route pour les mystères de Jupiter


Tom24

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Exploration spatiale européenne : en route pour les mystères de Jupiter

La mission JUICE de l’ESA décolle pour explorer les lunes glacées de Jupiter et révéler leurs mystères, ouvrant la porte à la possibilité de vie extraterrestre.

 

Ça y est, elle est partie ! La mission JUICE de l’ESA a quitté la Terre ce vendredi 14 avril de la base de Kourou en Guyane, pour le monde de Jupiter (le nom derrière l’acronyme est « JUpiter ICy moons Explorer »). Voir les détails du lancement en fin d’article.

Pour l’Europe, c’est l’événement astronautique de l’année. L’objet de la mission est de chercher à savoir jusqu’à quel niveau de complexification vers la vie ont pu mener les « astres-océan » que sont Europa, Ganymède et Callisto, les plus grosses lunes de la « géante gazeuse » qu’est Jupiter. La mission sur place durera quatre ans, le vaisseau passant de l’orbite de l’une à l’orbite de l’autre. Mais il lui faudra malheureusement cheminer huit années pour parvenir dans l’environnement jovien qui n’évolue pourtant que de 590 à 966 millions de km de la Terre (Mars, de 56 à 400 millions).

C’est en 2004 que tout a commencé, quand l’ESA a entrepris de consulter la communauté scientifique des pays membres pour choisir l’orientation de son futur programme « Cosmic Vision 2015-2025 » (sur des thèmes extrêmement vagues ou complétement ouverts selon le point de vue).

En 2007, l’ESA a ensuite lancé un « appel à missions » pour déterminer quelle devrait être la mission majeure (de classe « L ») de ce programme.

En 2012, trois propositions ont été retenues pour étude plus approfondie (phase de « définition ») : JUICE, NGO et ATHENA. Finalement JUICE a été choisie et les deux autres ont été reportées.

ATHENA (Advanced Telescope for High Energy Astrophysics) qui doit étudier avec un capteur à rayon X l’accumulation de la matière dans les galaxies ainsi que la formation et l’évolution des trous noirs, pourrait faire l’objet d’une seconde mission « L ».  Mais telle que prévue elle coûte trop cher et elle a été remise à l’étude en 2022.

NGO (New Gravitational wave Observatory), dédiée à l’étude des ondes gravitationnelles (adaptation de LISA) reste « en suspens ».

Tout ça pour dire que les progressions se font très lentement au milieu de beaucoup de concurrence, de beaucoup de bavardages et de beaucoup de précautions, notamment financières, au-delà même du raisonnable (même si une bonne définition est évidemment indispensable). L’explication est sans doute à rechercher dans le nombre des intervenants et le poids des administrations.

 

En route vers Jupiter

Ceci dit l’étude des mondes de Jupiter est passionnante et elle est tout à fait faisable sur le plan astronautique. Sur le plan scientifique les équipements d’observation embarqués nous font espérer une poussée magnifique de connaissances nouvelles.

Sur le plan astronautique, c’est une fusée Ariane 5-ECA d’Arianespace qui a effectué le lancement d’aujourd’hui. La version « ECA » est la plus puissante de la gamme de ces lanceurs. Elle permet de placer 21 tonnes en orbite basse terrestre et 10,5 tonnes en orbite géostationnaire. Sur trajectoire interplanétaire c’est environ moitié moins. En l’occurrence cela suffit mais de justesse pour la masse à injecter qui sera de 5,2 tonnes (dont 285 kg d’instruments scientifiques). C’est cette version d’Ariane qui a lancé le télescope JWST vers le point de Lagrange L2 le 25 décembre 2021. JUICE était son 84ème et avant-dernier lancement (il aurait été impardonnable de le rater !).

Le problème, comme évoqué en introduction, c’est la durée du voyage (pour ceux qui, comme moi, attendent avec impatience les données).

Les missions précédentes ont été nettement plus rapides :

  • Galileo, lancé par la navette-spatiale de la NASA, arriva dans l’environnement de Jupiter en 6 ans
  • Cassini, lancé par un Titan-IVB de Martin Marietta y parvint en 3ans (et de Saturne en 6 ans)
  • Juno, lancé par un Atlas V 551 de Lockheed Martin y parvint en 3 ans

 

Huit ans pour JUICE c’est donc vraiment beaucoup. L’explication est que la masse de la sonde ne permettait pas d’aller plus vite et qu’on ne veut pas non plus aller trop vite pour pouvoir se faire capturer par la force gravitationnelle de Jupiter sans avoir à freiner. Par ailleurs, on a voulu économiser au maximum les ergols pour le voyage puisqu’on aura besoin une fois arrivé « sur place », d’une quantité supérieure aux précédentes missions pour circuler d’une lune à l’autre (35 survols prévus !).

Pour réduire au maximum cette consommation on va y substituer au maximum de l’énergie « naturelle », celle qu’on peut obtenir par assistance gravitationnelle (dans un sens positif, d’accélération, qu’on appelle l’effet de fronde). C’est une opération délicate car il faut s’approcher de l’astre (tomber vers lui) pour bénéficier de la force de son attraction qui va augmenter la vitesse, suffisamment mais pas trop pour qu’elle corresponde exactement à l’ellipse que l’on souhaite parcourir pour parvenir au mieux à l’astre suivant. Le moment de la libération permettra de réorienter la fusée.

Dans le cas de cette mission, l’assistance gravitationnelle suivra un programme « EVEE ». Cela veut dire que la propulsion chimique sera complétée par les impulsions gravitationnelles successives de la Terre (E), de Vénus (V) puis deux fois de la Terre (EE). La première manœuvre aura lieu en août 2024 en utilisant le système Terre/Lune.

Quoi qu’il en soit du voyage, les objectifs sont passionnants. Il s’agit d’abord d’étudier les zones habitables de Ganymède (comme « objet planétaire et habitat potentiel »), Europa (en insistant sur les zones les plus récemment actives) et Callisto (comme témoin du système le plus ancien de Jupiter), les trois lunes abritant un océan sous une carapace de glace. Il est notable que le fond de ces océans soit constitué de roches, ce qui doit permettre sous l’effet de l’énergie tellurique, imprégnations, enrichissements, évolutions des molécules organiques qu’ils peuvent contenir. On veut en même temps explorer le système de Jupiter comme archétype des systèmes de planète géante gazeuse (son atmosphère, sa magnétosphère et son système de satellites et d’anneaux). Ce sera en fait la suite de la mission JUNO de la NASA (2016-2021-2025).

Ganymède va être étudié par de nombreux survols à basse altitude. C’est un satellite particulièrement intéressant du fait non seulement de son océan sous surface mais aussi de sa magnétosphère, le seul satellite du système solaire à en générer une, et de sa taille puisque c’est le plus gros des satellites avec un diamètre de 5268 km (plus que Titan, D = 5149 km ; mais nettement moins que Mars, D = 6779 km et beaucoup plus que notre Lune, D = 3475 km). JUICE devrait terminer sa course en s’écrasant sur Ganymède (et donc en transmettant un supplément d’informations). Jusqu’à la fin, l’altitude minimum des survols sera de 500 km (pour référence, l’ISS orbite la Terre à environ 400 km).

Europa, bien connue pour sa surface de glace blanche (mais un peu sale, ce qui précisément nous intéresse) et réfléchissante, va être scrutée dans les régions où les rejets d’eau et de matière souterraines (le « sale » ci-dessus) apparaissent les plus récents et l’on va essayer de déterminer la composition chimique des matériaux autres que la glace apparaissant dans les nombreuses fissures, tout en analysant aussi précisément que possible les processus de remontée de ces matériaux en surface. L’altitude minimum sera de 400 km.

Callisto (la deuxième en taille avec D = 4820 km) est une lune particulière en ce qu’elle est la plus éloignée de Jupiter et de beaucoup puisque son orbite est à 1 882 700 km de Jupiter (notre Lune est à 385 000 km de la Terre) alors que la deuxième, Ganymède, évolue à 1 070 000 km. Elle a donc été beaucoup moins transformée par Jupiter que les autres, par force de marée (ou par radiations), comme en témoigne d’ailleurs sa surface extrêmement cratérisée (qui est aussi une indication sur l’épaisseur de la croûte recouvrant son océan interne). Elle peut donner de ce fait des informations sur la période la plus ancienne du système jovien et servir de référence pour comparaison avec Ganymède. Le survol le plus bas sera effectué à seulement 200 km (à noter qu’un passage bas dépend de la vitesse, autrement la sonde s’écrase) !

 

Les différents équipements de la mission

Pour exploiter ces différents passages à basse altitude, la sonde sera équipée d’un grand nombre d’équipements, pertinents et à la pointe de ce que l’on sait faire aujourd’hui :

  • Imaging system (JANUS),
  • Visible-IR Imaging spectrometer (MAJIS),
  • UV Spectrograph (UVS),
  • Sub Millimeter Wave Instrument (SWI),
  • JUICE Magnetometer (J-MAG),
  • Radio and Plasma Wave Instrument (RPWI),
  • Particle Environmental Package (PEP),
  • Laser Altimeter (GALA),
  • Ice Penetrating Radar (RIME),
  • Radio Science Experiment (3GM),
  • VLBI Experiment (PRIDE).

 

Je les évoque ci-dessous :

JANUS va nous fournir des cartes géologiques détaillées à haute résolution et imagées avec les altitudes (DTM) et donner le contexte des autres données observées. Il opérera dans les longueurs d’ondes du spectre visible et du proche infrarouge. Il bénéficie du know-how des caméras des missions Bepi-Colombo, Dawn, Rosetta et Mars Express.

MAJIS va ajouter une dimension spectrométrique à l’image, avec une précision jamais atteinte (1280 bandes spectrales dans le segment 0,4 µm à 5,7 µm, soit de l’IR moyen à l’IR profond). Mais pour analyser les différentes atmosphères et leurs interactions avec l’espace, JUICE sera aussi équipée d’un spectromètre,

UVS, opérant de l’autre côté du visible, dans l’ultraviolet (55 à 210 nm, UV lointain et UV extrême).

Dans l’atmosphère de Jupiter, SWI mesurera et dressera la carte des températures et des vents Doppler (verticaux) ; il étudiera les molécules CO, HS, HCN, H2O, présentes dans la stratosphère de cette planète géante. Il caractérisera les atmosphères ténues des lunes galiléennes. Il mesurera également les propriétés thermophysiques et électriques des surfaces et sous-sol de ces mêmes astres et les corrèlera avec leurs propriétés atmosphériques et les traits géographiques.

Le magnétomètre J-MAG permettra de mieux comprendre la formation des lunes, de caractériser leurs océans souterrains (profondeur, étendue, conductivité), et permettra de considérer le comportement d’un astre magnétisé en rotation rapide comme Jupiter, et la façon dont il accélère les particules qu’il émet. Il permettra aussi de caractériser la petite magnétosphère de Ganymède. En surface d’Europa, il pourra détecter et caractériser d’éventuels dégazages.

RPWI disposera de sondes de Langmuir qui lui permettront de mesurer la température, la densité électronique et le potentiel du plasma circulant entre Jupiter et ses lunes et en particulier de mesurer comment les océans des satellites et les ionosphères réagissent aux variations très fortes de la magnétosphère de Jupiter.

Le PEP permettra la mesure et l’imagerie des densités et des mouvements des particules énergétiques neutres (ENA) et du plasma dans tout le système de Jupiter (NB : les particules peuvent atteindre une énergie se mesurant en plusieurs MeV).

GALA est spécifique à Ganymède. Il va mesurer l’effet de marée exercé par Jupiter sur cette dernière et déduira des déformations de la croûte, l’épaisseur de celle-ci et l’importance du volume de l’océan sous-jacent.

Le rôle de RIME (Radar for Icy Moon Exploration) s’explique de lui-même. Il concerne au premier chef Europa. Compte tenu de ses caractéristiques visibles et de sa position dans le système de Jupiter (chaleur interne par effet de marée), cette lune est la meilleure candidate pour disposer de l’océan capable de faire évoluer les molécules organiques au plus loin vers la vie. RIME est la continuation des radars MARSIS et SHARAD opérant en orbite autour de Mars. Il aura une pénétration allant jusqu’à 9 km. C’est nettement moins que l’épaisseur de la banquise d’Europa qui peut faire entre 80 et 170 km mais cela donnera une vision en 3D de cette banquise (et ce qu’il conviendrait de faire si l’on veut commencer à la sonder).

3GM étudiera tous les effets que peut avoir la gravité dans le système de Jupiter : effet de la planète sur ses lunes, effets des lunes entre elles.

PRIDE étudiera tout ce qui peut être mesuré par effet Doppler à l’intérieur du système de Jupiter et de ce système vers les autres astres du système solaire, par la mesure précise des positions et déplacements du vaisseau spatial sur le cadre de référence ICRF (International Celestial Reference Frame).

Enfin les organisateurs de la mission ont insisté pour la coordination et la synergie des différents instruments embarqués (« Synergistic payload capabilities ») ce qui est judicieux pour un ensemble aussi riche.

Cet orchestre absolument magnifique (on peut en effet comparer ces instruments scientifiques embarqués à des instruments de musique joués en harmonie du fait de la coordination et de la synergie ci-dessus mentionnées) doit nous permettre d’avancer considérablement dans la compréhension du système de Jupiter. On se rend bien compte que ce système, animé par un cœur violent, la redoutable planète-reine elle-même, est un milieu très hostile de par son environnement radiatif. Mais la nature est bien faite. Si elle existait dans les océans souterrains, la vie bénéficierait d’une protection contre ces forces destructrices du fait de la présence d’une carapace de glace (et d’ailleurs ces océans n’existeraient pas sans ces carapaces) et de la chaleur interne des lunes stimulée par les forces de marée générées par la masse de Jupiter. On peut toujours espérer.

L’énergie à bord est fournie par 85 m2 de panneaux solaires. Les corrections d’attitudes et les impulsions pour changer de direction (principalement insertion en orbite de Jupiter puis insertion en orbite de Ganymède) seront faites grâce à 3650 kg d’ergols (mono-méthil hydrazine – MMH – brûlant dans un mélange d’oxydes d’azote -MON). Poussée maximum 425 Newton.

Les participants scientifiques (« JUICE Science Working Team ») à cette mission sont évidemment très nombreux. Ils sont ressortissants de plusieurs pays membres de l’ESA : Allemagne, Italie, France,  Grande Bretagne, Suède, Suisse, Pays-Bas, Belgique mais aussi États-Unis et Israël.

Le décollage a eu lieu à l’heure prévue, 14 h 15 (avec un jour de retard compte tenu du temps orageux hier). Les deux boosters latéraux se sont détachés à 14 h 18. La coiffe protégeant la sonde s’est ouverte et a été évacuée à 14 h 20. La séparation du premier étage s’est faite à 14 h 22. L’allumage du second étage a eu lieu à 14 h 24. La séparation de la sonde et du second étage a eu lieu à 14 h 42. L’acquisition du signal radio a eu lieu à 15 h 05. Le déploiement des panneaux solaires a eu lieu à 15 h 50. Comme on dit en Franglais « All is nominal ! »

Le moment le plus délicat de la mission, après le décollage et après les multiples recherches d’assistance gravitationnelle, sera l’insertion en orbite de Jupiter mais malheureusement nous n’en sommes pas encore là.

Au-delà, en m’éloignant de la science jusqu’aux rives de la science-fiction, je ne peux m’empêcher de me souvenir que c’est dans ce cadre grandiose qu’évoluait l’un des monolithes-relais de l’épopée 2001 Odyssée de l’Espace conçue par l’esprit fertile d’Arthur Clarke et merveilleusement mis en images et en musique par le génial Stanley Kubrick.

JUICE rencontrera-t-elle un monolithe ? Ce serait bien sûr une révolution pour nous, l’ouverture d’une porte splendide vers l’infini et vers la vie ailleurs. On peut toujours rêver.

 

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